Le sommet extraordinaire des chefs d’Etat de la Communauté Economique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) le 16 décembre à Yaoundé a révélé une gestion alarmante des réserves de change. La Conférence a insisté sur l’application stricte de la Réglementation des changes et le rapatriement rapide des devises.
La réglementation des changes est l’ensemble des règles qui encadrent les échanges de devises (monnaies étrangères) entre un pays et le reste du monde. Elle contrôle les transferts de capitaux (argent envoyé ou reçu de l’étranger), les paiements internationaux (par exemple, pour les importations ou exportations), le rapatriement des devises (obligation de ramener dans le pays les revenus gagnés à l’étranger). L’ objectif est de protéger les réserves en devises, maintenir la stabilité monétaire et surveiller les flux financiers internationaux.
Le régime de la réglementation des changes en Afrique Centrale est régi par la Banque des États de l’Afrique Centrale (BEAC), qui supervise les politiques monétaires et financières des six pays de la zone : Cameroun, Congo, Gabon, Guinée équatoriale, Centrafrique et Tchad. Quels sont les principes partagés et les différences dans l’application des règles entre ces pays?
Les principes clés de la réglementation des changes en Afrique Centrale se résument en deux points : la liberté des opérations courantes et le rapatriement obligatoire des devises.
Liberté des opérations courantes et rapatriement des devises
Elles regroupent les transactions financières liées aux échanges internationaux de biens, de services, et de revenus entre un pays et le reste du monde. Elles n’impliquent pas de transfert durable de capital. Elles comprennent les importations et exportations de biens et services (par exemple, l’achat de marchandises ou la vente de produits à l’étranger); les revenus (salaires, dividendes, intérêts perçus ou versés à l’étranger) et les transferts courants (par exemple, envois d’argent des migrants à leurs familles). Ces opérations sont généralement libres, mais doivent souvent être déclarées pour des raisons de contrôle économique ou monétaire.
Le principe est que les opérations courantes doivent être effectuées librement. Les paiements relatifs aux transactions courantes (importations, exportations de biens et services) sont libres mais doivent être déclarés. En outre, les opérateurs économiques doivent rapatrier les revenus d’exportation dans la zone CEMAC dans un délai déterminé.
Le Rapatriement des devises est obligatoire. Les entreprises opérant dans les pays de la CEMAC sont tenues de rapatrier les devises issues des recettes d’exportation auprès des banques locales. Les revenus issus des matières premières (pétrole, gaz, bois, etc.) doivent également être domiciliés dans la sous-région. Enfin, tout transfert de capitaux hors de la zone CEMAC doit être contrôlé et déclaré.
Une réglementation commune pour les six pays?
Les pays membres de la CEMAC partagent une réglementation commune des changes, établie par la Banque des États de l’Afrique Centrale (BEAC). Toutefois, des différences dans l’application et les pratiques sont observées entre les pays en raison de leurs contextes économiques spécifiques, du niveau de développement de leurs systèmes bancaires et des infrastructures administratives.
Les pays ont une réglementation des changes commune adoptée en décembre 2018 et appliqué depuis 2019. Elle impose des règles uniformes sur le contrôle des flux de capitaux, la domiciliation des transactions extérieures et le rapatriement des devises. Les obligations principales sont le Rapatriement des devises ( les recettes issues des exportations doivent être rapatriées et domiciliées auprès des banques locales autorisées), la domiciliation bancaire ( les opérations d’importation et d’exportation doivent être domiciliées dans les banques des pays de la zone); le Contrôle des transferts de capitaux (les transferts hors de la CEMAC, notamment pour les investissements ou paiements en devises, nécessitent une autorisation préalable), et enfin la Monnaie commune : le franc CFA BEAC (XAF) . Le franc CFA est arrimé à l’euro avec une parité fixe (1 EUR = 655,957 XAF), garantissant une stabilité monétaire commune.
Des différences dans l’application des règles entre les pays
Le Cameroun et le Gabon, qui disposent de secteurs financiers plus développés, appliquent la réglementation de manière plus stricte et formalisée. En revanche, le Tchad et la Centrafrique rencontrent des difficultés liées à la faiblesse de leurs infrastructures bancaires et administratives, ce qui rend l’application plus variables
Une résistance des multinationales extractives qui domicilient leurs recettes à l’étranger
Dans des économies pétrolières comme le Congo ou la Guinée équatoriale, le respect des obligations de rapatriement des devises est un enjeu crucial. Ces pays sont souvent confrontés à des résistances de la part des multinationales extractives, qui préfèrent domicilier leurs recettes à l’étranger. Les pays non pétroliers, comme le Tchad ou la Centrafrique, dépendent des revenus agricoles, rendant l’impact de cette réglementation différent.
Quant aux économies plus diversifiées comme le Cameroun montrent une plus grande capacité à appliquer les règles grâce à des banques locales actives et mieux intégrées au système BEAC. À l’opposé, les systèmes bancaires du Tchad et de la Centrafrique sont sous-développés, ce qui complique la gestion des flux de devises et le suivi des rapatriements.
Malgré une réglementation des changes jugée restrictive, les sorties de devises ont triplé en 5 ans
Le Gabon et le Congo ont fait néanmoins fait des efforts pour appliquer les conventions sur les comptes séquestres pour les entreprises extractives (pétrolières et minières). En revanche, dans des pays comme le Tchad, l’absence de mécanismes efficaces pour surveiller les recettes d’exportation crée de gros écarts.
Il reste que des entreprises étrangères et certains acteurs locaux estiment que cette réglementation des changes est trop rigide, ce qui freine les investissements directs étrangers (IDE) et les partenariats internationaux, affectant ainsi le climat des affaires. Malgré une réglementation des changes jugée restrictive, les sorties de devises ont triplé en 5 ans.
Des réformes sont nécessaires pour harmoniser davantage les pratiques, renforcer la surveillance et améliorer l’infrastructure bancaire afin de garantir une meilleure application et un développement économique équilibré dans la région.
Carmen Féviliyé