Mohamed Zoghlami – Consultant International en Stratégie & Développement – Co-fondateur d’Afric’Up et d’Africa in Colors – Spécialiste des industries culturelles & créatives numériques en Afrique – Comité d’experts Saison Africa 2020
En Afrique, l’intelligence artificielle et les réseaux sociaux sont devenus les nouveaux griots, ces passeurs d’histoires qui, autrefois, s’asseyaient sous l’arbre à palabres pour tisser les fils de la mémoire collective. Mais dans ce mariage improbable entre algorithmes et humanité, entre fils de connexion et fils ancestraux, une question brûle les lèvres de cette jeunesse digitale native que j’apprécie tant, née avec un Smartphone à la main et un QR code tatoué sur le cœur, qui s’interroge avec une curiosité insatiable et une dose d’humour qui défie les conventions : OU VA NOTRE FUTUR ?
Aujourd’hui, les récits ne sont plus chantés au rythme de la kora mais générés par des algorithmes qui recommandent des vidéos, des danses et des hashtags sur nos écrans, où les bits et les octets rencontrent les tambours et les contes. Les griots 2.0 ne portent plus le boubou, ils arborent des casquettes de créateurs de contenu et jonglent entre leurs abonnés sur Instagram et les likes sur TikTok. Mais que vaut un récit qui dépend de l’humeur d’une intelligence artificielle ? Cette même IA, invisible mais omniprésente, décide qui verra ton slam en pidgin (aussi appelé « broken english » est un créole utilisé officieusement comme langue vernaculaire au Nigéria) ou ta vidéo où tu racontes l’histoire des reines guerrières du Dahomey. Elle n’est pas une simple passeuse, mais une « censureuse », une puritaine déguisée, modulant les récits selon ce qui est jugé “engageant”.
L’IA et les réseaux sociaux ne sont pas seulement des outils technologiques, ils sont les nouveaux griots, ces conteurs modernes qui façonnent les récits de demain. Dans les villages numériques d’Afrique, où les smartphones remplacent les tam-tams, les jeunes se connectent, partagent, et rêvent. Ils sont les architectes d’un futur où l’IA pourrait bien devenir le nouveau sage du village, dispensant conseils et connaissances avec une précision algorithmique.
Mais cette transformation ne se fait pas sans heurts. L’IA et les réseaux sociaux résonnent à travers le continent pour mobiliser, éduquer, connecter et surtout divertir.
Et derrière cette façade high-tech se cachent des enjeux bien réels et comme tout outil puissant, ils portent en eux le meilleur et le pire. L’IA, est à la fois une promesse et une menace. Elle promet d’automatiser les tâches fastidieuses, de rendre l’éducation et les soins de santé plus accessibles, et de stimuler l’innovation. Mais elle menace aussi de remplacer les emplois, de créer des inégalités.
De même mal utilisée, l’IA peut devenir un amplificateur d’inégalités et un outil de manipulation massive, un vecteur de désinformation, ce poison moderne, se répand comme une traînée de poudre, menaçant de saper les fondements mêmes de la démocratie.
Les algorithmes, conçus par des humains, souvent occidentaux, peuvent véhiculer des biais culturels, des stéréotypes raciaux, des discriminations insidieuses. Il est donc crucial de former les jeunes Africains à la pensée critique, à la maîtrise des outils numériques, à la compréhension des enjeux éthiques de l’IA. Ces jeunes doivent être capable de déconstruire les discours, de questionner les sources, de débusquer les fake news avec sagacité. Car c’est bien là que réside le véritable enjeu : former une génération de citoyens numériques éclairés, capables de naviguer dans cet océan d’informations sans s’y noyer
Il ne s’agit pas de diaboliser la technologie, mais de l’apprivoiser, de la mettre au service du développement, de l’émancipation, de la justice sociale.
Dans ce contexte, la jeunesse africaine se pose des questions existentielles. Comment préserver notre identité culturelle dans un océan de données ? Les réseaux sociaux, avec leur instantanéité et leur viralité offrent une plateforme idéale pour ces interrogations.
Cette jeunesse avide de technologie scrute, analyse, et parfois détourne ces outils pour en faire des instruments de résistance et de créativité. Les réseaux sociaux deviennent des terrains de jeu où l’on expérimente de nouvelles formes d’expression, où l’on crée des communautés virtuelles qui transcendent les frontières géographiques et culturelles.
Les mèmes, ces petites capsules d’humour visuel, deviennent des vecteurs de critique sociale et politique. Les hashtags se transforment en mouvements, rassemblant des milliers de voix autour de causes communes. L’IA, de son côté, commence à s’immiscer dans ces conversations. Les Chatbots et les assistants virtuels deviennent des interlocuteurs quotidiens, offrant des réponses instantanées et parfois surprenantes, pour ne pas dire « hallucinantes ».
Les réseaux sociaux et l’IA ne sont pas seulement des outils, ils sont des miroirs qui reflètent nos aspirations, nos peurs, nos espoirs. Ils sont les nouveaux griots, ces conteurs modernes qui tissent les récits de notre époque. Mais contrairement aux griots traditionnels, ils ne se contentent pas de raconter des histoires, ils les créent, les modifient, les partagent à une échelle jamais vue auparavant. Ils dévoilent leurs créations artistiques, leurs engagements politiques, leurs coups de cœur musicaux, leurs vidéos humoristiques, bref, ils y vivent, tout simplement.
L’IA, quant à elle, se faufile partout, discrètement mais sûrement. Elle suggère des contenus, personnalise les publicités, traduit les langues, analyse les données, et même, pour les plus audacieux, crée de la musique ou des œuvres d’art. On assiste à une véritable symbiose entre l’homme et la machine, une co-création permanente, un dialogue incessant entre le réel et le virtuel.
Dans ce contexte, la jeunesse africaine se trouve à un carrefour fascinant. Elle est à la fois héritière d’un passé riche et complexe, et pionnière d’un futur incertain mais plein de promesses. Elle navigue entre tradition et modernité, entre réalité et virtualité, entre humour et sérieux. Elle est le visage d’une Afrique en mutation, une Afrique qui se réinvente chaque jour, chaque clic, chaque like
L’intelligence artificielle, quant à elle, est un outil ambivalent. Certains la voient comme une opportunité de rendre accessibles les savoirs africains au monde entier, d’autres comme une menace qui pourrait dénaturer ces récits. Une IA peut-elle vraiment comprendre qu’un conte africain n’est pas seulement une histoire mais un moment de communion, une expérience où la voix, l’intonation et même les silences jouent un rôle clé ? Peut-elle saisir que lorsqu’un griot raconte une épopée, il n’est pas seulement un narrateur mais un dépositaire du sacré ? Ces questions hantent cette jeunesse digitale native, qui oscille entre fascination pour ces nouvelles technologies et méfiance à l’égard de leur pouvoir invisible.
Dans cette Afrique numérique, les récits évoluent à une vitesse vertigineuse. Un simple tweet peut déclencher une conversation mondiale sur la richesse des mythes africains, tandis qu’un filtre Instagram peut transformer une danse traditionnelle en phénomène viral. Mais cette jeunesse ne se contente pas de divertir. Elle dénonce, interpelle et réinvente. Sur WhatsApp, des groupes discutent de l’importance de documenter les récits oraux pour les préserver des ravages de l’oubli. Sur YouTube, des créateurs expliquent comment les légendes africaines peuvent inspirer des films et des jeux vidéo. Et sur TikTok, des défis de danse revisitent les mouvements traditionnels pour leur donner une nouvelle vie.
Cette génération, bien que totalement immergée dans la modernité numérique, n’a pas oublié ses racines. Au contraire, elle les explore avec une curiosité renouvelée, les confrontant aux promesses et aux pièges du futur. L’Afrique d’aujourd’hui, connectée et portée par des plateformes globales, ressemble à un immense kaléidoscope où chaque fragment d’histoire, chaque proverbe et chaque légende trouve sa place dans une mosaïque plus grande. Mais ce kaléidoscope est fragile. Si l’Afrique ne se réapproprie pas les technologies qui façonnent ces récits, elle risque de voir son histoire réécrite par d’autres.
En fin de compte, les réseaux sociaux et l’intelligence artificielle ne sont pas seulement des outils. Ils sont devenus des espaces où l’Afrique digital native invente son futur. Ces nouveaux griots, armés de smartphones et guidés par des algorithmes, chantent, dansent et tweetent pour raconter une Afrique vivante, hybride et résolument tournée vers l’avenir.
Un futur où l’IA ne remplace pas l’humain, mais l’augmente. Un futur où les réseaux sociaux ne divisent pas, mais rassemblent. Un futur où la technologie n’est pas une fin en soi, mais un moyen de résoudre les défis séculaires du continent : la pauvreté, les inégalités, le changement climatique. Alors, que sera l’Afrique de demain ? Un eldorado numérique ? Ou un champ de bataille digital où s’affronteront les géants de la tech pour le contrôle des données ?
Dans cette quête, les jeunes rappellent au monde entier que les histoires ne sont pas de simples mots ou vidéos, mais des forces qui construisent des identités, unissent des communautés et dessinent des futurs. Celui qui tient le fil des récits tient le monde. Ces jeunes, armés de leur créativité et de leur humour, tiennent bien plus que des fils de connexion. Ils tiennent le futur de leurs récits, et donc celui de leur continent.