Photo de famille à la fin de la ocnférence@Akli Mallouli
Comment transformer la diaspora africaine en véritable acteur du changement, en Afrique comme en France ? C’est à cette question qu’a tenté de répondre le colloque « Diasporas africaines, acteurs clés d’une coopération renouvelée », organisé au Sénat le 13 septembre par le sénateur du Val-de-Marne, Akli Mellouli. Chercheurs, élus, entrepreneurs et acteurs associatifs y ont confronté leurs visions afin de réfléchir à la place stratégique des diasporas dans les relations entre la France et l’Afrique.
La diaspora, un pont entre deux rives
Dès l’ouverture du colloque, le sénateur Akli Mellouli a donné le ton en affirmant que les diasporas ne sont pas de simples communautés expatriées, mais bien des forces économiques, sociales et culturelles. Il les a décrites comme de véritables « ponts vivants » entre les deux rives, porteurs d’une vision d’avenir partagé.
Le sénateur a insisté sur la cohérence nécessaire entre la politique extérieure et la politique intérieure : « L’image de la France en Afrique dépend aussi de la manière dont nous accueillons, respectons et valorisons celles et ceux qui, ici même, portent cette double appartenance. » Il a appelé à considérer les mobilités, ainsi que les échanges académiques et professionnels, comme des instruments de rapprochement, et non comme des barrières.
La contribution des diasporas à la politique africaine de la France
Deux tables rondes ont rythmé cette rencontre : la première était consacrée à la contribution des diasporas à la politique africaine de la France, la seconde aux diasporas comme moteurs de coopération, d’innovation et de développement.
La première table ronde a réuni des personnalités aux parcours variés, parmi lesquelles Francis Laloupo, chercheur associé à l’IRIS, qui en assurait la modération, Sabrina Sebaihi, députée des Hauts-de-Seine, Akli Mellouli, sénateur du Val-de-Marne, Mams Yaffa, acteur associatif et figure de la diaspora malienne, ainsi que Ben-Hur Kabengele, responsable Pays à l’Agence française de développement (AFD).
Une vue des participants@Deborah Tassin-AAFC
La diaspora au cœur des enjeux de représentativité
Pour la députée Sabrina Sebaihi, l’apport des diasporas ne peut être dissocié de leur représentativité dans les institutions. À l’Assemblée nationale, seuls une dizaine des 577 députés sont issus des diasporas maghrébines, et encore moins d’Afrique subsaharienne. Un décalage majeur, alors même que les personnes issues de l’immigration représentent plus de 10 % de la population française – soit 7,3 millions en 2023, dont près de la moitié née en Afrique.
La députée a pointé des freins persistants : discriminations, manque de réseaux et suspicion de « double loyauté » pesant sur les binationaux, parfois perçus comme des « ennemis de l’intérieur ». « Il faut que la présence des élus et des personnalités issues des diasporas soit effective dans les cabinets ministériels, la haute fonction publique, les ambassades et la diplomatie. » a-t-elle appuyé.
Valoriser la double appartenance
Pour Ben-Hur Kabengele, responsable pays à l’AFD, le terme diaspora doit évoluer, il lui préfère celui d’«afropéanité », qui permet d’assumer une double appartenance : être pleinement français tout en portant l’histoire et les racines africaines.
Fort de son expérience à l’AFD, il regrette que les profils issus des diasporas soient encore peu présents dans les grandes institutions. C’est dans cet esprit qu’il a participé au lancement du programme « Culture pour le développement », visant à rapprocher l’AFD des diasporas installées en France.
Aki Mellouli participant au panal sur les femmes@Deborah Tassin-AAFC
L’initiative organise des échanges avec des artistes et intellectuels comme Alain Mabanckou, Fatou Diome ou Youssoupha. « Avant de connaître le Malien d’Abidjan, il est utile de dialoguer avec le Malien de Paris », a-t-il illustré, convaincu que ces démarches transforment l’institution de l’intérieur et inscrivent les diasporas comme acteurs à part entière de la politique de coopération.
Une nouvelle génération en quête de place
Mams Yaffa est quant à lui revenu sur l’histoire des diasporas pour mieux comprendre la situation actuelle. Il distingue d’abord la « première génération », celle des parents venus bâtir leur vie en France tout en pourvoyant aux besoins de ceux restés dans leur pays d’origine. Puis la « seconde », celle de leurs enfants, nés ici, pleinement français mais encore rangés dans la case « diaspora ».
Cette jeunesse, explique-t-il, a grandi avec une double culture et une ouverture au reste du monde. L’activiste regrette néanmoins que les institutions n’aient pas suivi le mouvement : « Les instances de ce pays sont restées bloquées avant 2000 », déplore-til. Pour lui, ces jeunes issus de l’immigration ne sont pas un problème à gérer, mais bien « une chance réelle dans les relations entre la France et l’Afrique ».
@Deboran Tassin -AAFC
Les prises de parole ont été suivies d’un temps de questions-réponses, durant lequel les participants ont abordé plusieurs thématiques importantes, parmi lesquelles : le départ de certains jeunes issus des diasporas vers d’autres horizons ; l’ouverture progressive des institutions aux contributions des diasporas ; et enfin, la nécessité d’associer davantage ces acteurs aux processus décisionnels des politiques de développement et des relations avec l’Afrique.
Diasporas africaines : moteur d’innovation et de coopération
La seconde table ronde, animée par Coralie Lolliot, responsable Afrique de Sciences Po Executive Education, portait sur le thème : « Diasporas africaines, moteur de coopération, d’innovation et de développement ». Autour de la table : Julien Gakpe, fondateur de Minah, Carole Da Silva, productrice, animatrice et entrepreneure sociale
engagée pour l’inclusion et l’égalité, ainsi que Bilal Dahlab, fondateur de Monéco. Tous ont apporté un éclairage sur la manière dont les diasporas, bien au-delà des transferts financiers, se révèlent être de véritables catalyseurs de projets économiques, technologiques et sociaux.
La diaspora, force créative et intellectuelle
Julien Gakpe a plaidé pour une vision ambitieuse : faire des diasporas des acteurs clés de la circulation des savoirs et des technologies. Avec son projet Minah, un outil de mise en relation entre talents de la diaspora et projets à impact en Afrique, il illustre comment ces talents peuvent devenir des facilitateurs de transferts de compétences, notamment dans les domaines de l’éducation et du numérique. Selon lui, la diaspora ne doit pas seulement être perçue comme une source de financements, mais comme une force intellectuelle et créative, pleinement capable de contribuer au développement du continent.
Une inclusion économique pensée par et pour les diasporas
@Deborah Tassin-AAFC
À travers sa start-up Monéco, Bilal Dahlab conçoit des solutions financières adaptées aux réalités des diasporas et de leurs pays d’origine. Son objectif : stimuler l’investissement local et bâtir une coopération plus équitable.
« Les diasporas doivent être vues non pas seulement comme des sources de transferts de fonds, mais comme des acteurs de l’inclusion économique », a-t-il souligné. Monéco illustre cette ambition en développant des outils favorisant la mobilité des capitaux et l’investissement dans les économies locales.
La diaspora féminine, moteur de transformation sociale
Carole Da Silva a choisi de mettre en avant la puissance de la diaspora féminine. Citant la Banque mondiale et l’UNESCO, elle a rappelé que l’implication des femmes amplifie considérablement l’impact économique et social, notamment grâce à l’éducation et l’entrepreneuriat. « Il ne faut pas s’excuser d’être excellentes », a-t-elle lancé, appelant les femmes à investir les espaces de décision pour transformer durablement les politiques publiques.
Au terme de cette journée, une conviction s’est imposée : les diasporas africaines représentent un capital humain majeur. Porteuses d’innovations, d’initiatives entrepreneuriales et d’une créativité culturelle, elles offrent une vision renouvelée de la coopération internationale.
En clôture, le sénateur Akli Mellouli a appelé à dépasser les préjugés liés à l’immigration pour reconnaître les diasporas comme une richesse. « Les diasporas ne doivent pas être vues comme une marge, mais comme un levier central de transformation. » a-t-il rappelé.
Le colloque marque une première étape d’un cycle de rencontres, avec l’ambition d’aboutir à un « livre blanc » pour une coopération franco-africaine tournée vers l’avenir.