A la tête d’un holding aux allures d’un futur conglomérat, Patricia Nzolantima est de cette race d’entrepreneurs dont le court-circuit de l’ascension l’a propulsée à de nouveaux sommets. Admise au Globalize Accelerator à la Silicon Valley et désormais en joint-venture avec une structure américaine, cette native de Kinshasa –en République démocratique du Congo (RDC)- est riche d’un parcours aussi difficile qu’inspirant.
Par Ristel Tchounand
« L’entrepreneuriat n’est pas ce que beaucoup de gens pensent. Ce n’est pas glamour. On ne construit pas une entreprise solide du jour au lendemain. C’est une succession de défis à relever. Et pour ce faire, il faut être bien aguerri ». C’est ainsi que Patricia Nzolantima, dans un entretien avec La Tribune Afrique, résume cette activité qui passionne la jeunesse contemporaine et fait des success stories parfois retentissantes en Afrique. Elle parle en connaissance de cause. « Ressuscitée » après avoir été « consumée » par un violant court-circuit en pleine ascension entrepreneuriale, cette native de Kinshasa -pour l’illustrer- se décrit comme « un phénix ».
Réglée telle une horloge, c’est au rythme d’un agenda fourni que s’exécute à longueur de journée la fondatrice et présidente de Bizzoly Holdings qui rassemble quatre sociétés investies dans le transport et logistique, le marketing, la communication, la distribution de produits de première nécessité et tout récemment l’édition. Et les nouvelles sont bonnes. Patricia Nzolantima vient d’être admise au Globalize Accelerator à la Silicon Valley, qui lui permettra de trouver de nouvelles opportunités de croissance pour ses affaires. De plus, Ubizcabs -sa société de transport urbain célèbre pour ses véhicules gris et rose conduits exclusivement par des femmes- vient de conclure une joint-venture avec une structure américaine, levant ainsi 30 millions de dollars. Si tout cela vient amplifier des années de travail acharné, l’expérience n’a pas toujours été aussi gratifiante pour cette femme d’affaires.
Une crise ouvre la porte de l’entrepreneuriat
Après des études de droit en République démocratique du Congo (RDC), Patricia Nzolantima démarre sa carrière professionnelle et finit par faire ses armes dans le business development, au service d’une entreprise internationale. Pour elle, l’entrepreneuriat n’était pas un rêve nourri. « J’aime être honnête avec moi-même. J’aimais bien travailler pour des programmes déjà établis, créer des projets pour les clients… Mon objectif n’a jamais été d’être une femme entrepreneure », confie-t-elle. Cette expérience l’emmènera au Sénégal, en Afrique du Sud et au Congo Brazzaville où elle associera travail et formation continue. Son employeur qui projette une implantation permanente en RDC, la prépare à en prendre les rênes.
Malheureusement (ou heureusement ?), la guerre de 2008 dans le Kivu empêche les investisseurs de concrétiser leur plan d’expansion en RD Congo. C’est ainsi que Patricia Nzolantima considère l’idée de se lancer à son propre compte, afin de capitaliser sur les acquis de plusieurs années d’expérience et saisir les opportunités qui se dégagent de la crise économique qui frappe alors le pays. Elle lance Communic’Art, une entreprise de communication via cartes postales. Deux ans plus tard, le calme est de retour au pays, ses ex-employeurs reviennent en partenaires : « Ils sont estimés que ce n’était plus la peine pour eux de créer une entreprise locale, puisque ce qu’ils voulaient, c’était travailler avec moi ».
Chute brutale
Les affaires prospèrent. La jeune entrepreneure emploie, lève des fonds, fait du chiffre…Mais après quelques signaux, devenus rapidement alarmants, un jour, tout s’écroule : « J’ai tout perdu du jour au lendemain ». S’ensuit une profonde remise en cause. « Nous travaillions bien. Je pense que nous sommes tombés par manque d’expérience », estime Nzolantima qui reconnait aussi avoir « tout délégué à partir d’un moment sans contrôler ».
Cette descente aux enfers sera telle une pilule difficile à avaler, mais qu’il faudra bien pousser avec un verre d’eau. « Malgré tout, j’ai toujours majoritairement endossé la responsabilité de cet échec. Je pense que c’est ce qui m’a permis de me remettre en question et de rebondir. Je crois qu’en tant qu’entrepreneur, il faut toujours se remettre en cause pour voir quelles sont les choses qu’on fait bien et celles qu’on fait moins bien, quelles sont celles qu’on fait mal, afin de les corriger et s’améliorer ».
Le grand come-back
La renaissance est venue au bout de multiples efforts. Outre les longues réflexions et analyses, le travail « sans relâche » … Patricia Nzolantima est retournée sur les bancs -notamment de Harvard Business School et Standford- pour se former à l’administration des affaires. Chemin faisant, elle s’est heurtée comme bon nombre d’entrepreneurs au sempiternel problème du financement. « C’est difficile de faire les affaires en RDC parce que les entrepreneurs n’ont pas forcément le soutien des banques », confie cette businesswoman qui a fini par ratisser large pour garantir son retour aux affaires, avec l’appui de partenaires « qui ont eu confiance en [elle] ». Depuis lors, ses maitres-mots sont : « discipline, concentration et rigueur ».
Aujourd’hui, Patricia Nzolantima comptabilise un chiffre d’affaires conséquent de huit chiffres. Chaque fois qu’elle a l’occasion de prendre la parole en public pour booster les femmes entrepreneures comme lors du Women In Africa Forum en 2018 à Marrakech, la Congolaise préfère partager les clés qui lui ont permis de se relever après la chute.
« Après avoir tutoyé les sommets, ce n’était pas facile. Mais… »
Selon son entourage, Patricia Nzolantima d’après la chute est différente de celle d’avant. « Elle est encore plus mature », témoigne l’une de ses intimes, Madjissem Beringaye, entrepreneure franco-tchadienne. Cette dernière se souvient des longues heures de discussions téléphoniques, en mode thérapie, à discuter toutes les deux des moyens pour son amie congolaise de s’en sortir. « Après avoir tutoyé les sommets, la chute était difficile. Personnellement, j’en avais été étonné, parce que je connais Patricia très travailleuse. Et cela se vérifie quand on voit la manière dont elle s’est relevée. Elle est plus excellente aujourd’hui qu’elle ne l’a été auparavant », confie Beringaye. « Elle est repartie à l’essentiel, poursuit-elle, et s’est reconstruite grâce à sa foi. Elle s’est dépouillée de tout, en ne voyant presque plus personne, elle est retournée sur les bancs de l’école parce qu’elle se disait qu’elle voulait faire de grandes choses et qu’il fallait qu’elle s’en donne les moyens ».
Outre ses entreprises, Patricia Nzolantima a plusieurs accomplissements à son actif dont une fondation et un incubateur pour équiper les femmes passées par difficultés entrepreneuriales, leur faire apprendre de leurs erreurs et les aider à redécoller. Son objectif : contribuer à créer les millionnaires de demain au Congo. « J’ai toujours refusé de jouer un rôle, défend l’entrepreneure. Je préfère dire que je suis tombée et qu’ensuite je me suis relevée. Chaque succès se construit à travers les difficultés, à travers les erreurs que l’on commet. Avec du bon sens, de la discipline et de la détermination, on arrive à se réinventer. Et c’est cela le plus important ».
Patricia Nzolantima a déjà présenté les prouesses des bénéficiaires de ces formations au département d’Etat américain. La femme d’affaires représente par ailleurs la RDC à la Young Entrepreneurs’ Alliance au sommet du G20 depuis 2013. A Kinshasa où Ubizcabs était très active pendant le confinement partiel de la capitale en raison de la pandémie de Covid-19, ce « phénix » de l’entrepreneuriat congolais n’arrête pas poser les jalons qui introduiront ses entreprises dans une nouvelle dimension. Outre son ambition industrielle, Patricia Nzolantima zyeute déjà en l’occurrence, d’autres marchés d’Afrique francophone, pour son expansion.
la Tribune Afrique