Églises évangéliques africaines en France : entre incompréhensions, accusations de sectarisme et controverse publique

La question du traitement réservé aux Églises évangéliques d’expression africaine en France soulève à nouveau débats et inquiétudes. 

Par Carmen  Féviliyé, juillet 2025

L’inclusion dans le dernier rapport de la MIVILUDES des Églises ACER (Assemblée Chrétienne pour l’Évangélisation et le Réveil) et ICC (Impact Centre Chrétien) comme « objets de vigilance » a ravivé les tensions, suscitant une vive émotion au sein des communautés religieuses concernées, mais aussi parmi de nombreux observateurs de la liberté religieuse.

Alors que la laïcité reste l’un des fondements de la République française, beaucoup dénoncent une incompréhension persistante, voire un biais culturel, dans la manière dont certaines autorités publiques perçoivent les Églises issues des diasporas africaines.

Quand la foi dérange : le rapport controversé de la MIVILUDES

Dans son rapport annuel, la MIVILUDES consacre plusieurs pages aux pratiques de certains courants évangéliques, notamment à travers les cas d’ACER et d’ICC. L’organisme évoque des risques de dérives sectaires, une pression financière sur les fidèles, des discours jugés culpabilisants, ou encore des pratiques de “guérison spirituelle” perçues comme potentiellement dangereuses.

Le rapport souligne également des dynamiques de contrôle moral et psychologique dans certaines assemblées, sans toutefois accuser explicitement ces Églises de sectarisme. Mais le fait même de les inscrire dans une logique de « vigilance » a provoqué un malaise profond parmi les fidèles et les dirigeants.

Du côté des responsables religieux concernés, ces accusations sont rejetées en bloc. Ils dénoncent une méconnaissance des spécificités culturelles des cultes africains, souvent plus expressifs, charismatiques et communautaires que ce que connaît la tradition protestante ou catholique dominante en France.

La controverse Tsengué à ICC : révélateur d’un malaise plus large

La tempête médiatique a pris une ampleur nouvelle avec l’invitation récente du pasteur Alain Patrick Tsengué à une conférence à Impact Centre Chrétien (ICC), l’une des plus grandes Églises évangéliques francophones de France. Alain Patrick Tsengué avait été pointé du doigt à cause, selon les observateurs, des pratiques et abus potentiellement problématiques au sein de son église, manipulant la foi pour asseoir un pouvoir communautaire ou financier.

Pasteur Alain Patrick Tsengue@EMCI
Pasteur Alain Patrick Tsengue@EMCI
Pasteur Yvan Castanou@ICC
Pasteur Yvan Castanou@ICC

Son intervention à ICC a suscité une onde de choc sur les réseaux sociaux. De nombreux fidèles ont dénoncé une offense à leur foi et une trahison symbolique. Face à la polémique, Tsengué a présenté des excuses publiques, reconnaissant des maladresses et affirmant vouloir contribuer à un dialogue plus apaisé.

Le pasteur Yvan Castanou, fondateur d’ICC, a pris la parole pour défendre l’esprit d’ouverture de son Église, insistant sur l’importance de « faire entendre la voix de l’Évangile dans un monde divisé » sans céder aux logiques de rejet ou de victimisation.

Démission de Donatien Levaillant : un signal d’alerte

Dans ce contexte de crispation, la démission de Donatien Levaillant — connu pour son travail de pont entre institutions françaises et mouvements religieux issus de la diaspora — a été un choc. Sa sortie, largement commentée, a mis en lumière l’absence de cadres de dialogue institutionnel réellement représentatifs des réalités vécues par les communautés évangéliques africaines.

Donatien Le Vaillant a dénoncé une atmosphère de suspicion permanente à l’encontre des Églises africaines et évoqué une « stigmatisation systémique qui mine la cohésion sociale et la reconnaissance du pluralisme religieux ».

Donaten Le Vaillant, ancien chef de la Miviludes
Donaten Le Vaillant, ancien chef de la Miviludes

Cette affirmation de Donatien Le Vaillant, alors chef de la MIVILUDES, repose sur une interview publique dont des extraits ont été rapportés dans un podcast de France Inter. L’interview reflète clairement une posture critique vis-à-vis d’une approche parfois perçue comme surveillante et uniformisante autour des cultes africains, une vigilance accrue à l’égard des mineurs, mais aussi le risque que cette vigilance devienne un biais permanent dans l’analyse des Églises africaines en France, qui se retrouvent fréquemment au centre d’un discours de méfiance généralisée radiofrance.frjournals.openedition.org. et d’une lecture uniforme des pratiques des Églises africaines.

Ce constat questionne sur l’équilibre entre vigilance légale légitime et la bonne compréhension culturelle dans l’évaluation des groupes religieux francophones d’origine africaine.

 Une liberté de culte à géométrie variable ?

La situation pose une question centrale : toutes les expressions religieuses sont-elles perçues de manière égale en France ? Si la loi de 1905 garantit la liberté de culte, dans la pratique, les Églises évangéliques d’inspiration africaine semblent souvent faire l’objet d’un traitement particulier.

Leur dynamisme — en forte croissance démographique, notamment en banlieue parisienne, à Lyon ou à Marseille — dérange parfois, par ses codes, ses formes de mobilisation ou son usage du spirituel. Mais faut-il y voir une dérive ou un simple choc des cultures ?

Pour de nombreux pasteurs africains, il s’agit avant tout de méconnaissance. « On n’explique pas assez ce qu’est un culte charismatique africain, ce qu’est l’expérience de Dieu dans une culture où le spirituel est central », explique un responsable d’église à Créteil. « Il faut plus de dialogue, pas plus de contrôle. »

Mais alors, quelle place pour la diversité spirituelle ?

Dans un pays où la laïcité est censée garantir l’égalité des croyances, la gestion des cultes issus de la diaspora pose aujourd’hui un véritable défi. La ligne de crête entre vigilance nécessaire et stigmatisation culturelle est mince.

Le rapport de la MIVILUDES, la polémique autour d’ICC, les tensions liées à la démission de Donatien Levaillant : autant de signaux d’un besoin urgent de repenser le cadre d’interprétation des pratiques religieuses africaines en France. Non pas pour nier les éventuels abus, mais pour faire place à la complexité, à l’écoute, et à une véritable reconnaissance du pluralisme religieux.

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A propos CARMEN FEVILIYE 890 Articles
Juriste d’affaires Ohada / Journaliste-Communicant/ Secrétaire Générale de l'Union de la Presse Francophone - UPF section France